Mai 2007 _ mini-dv
coul. _ 26 min
Modèle & lecture : Sonia Fleurance
Filmage, texte, composition sonore, montage & mixage :
Sandrine Treuillard
[2cde Projection Privée, Sonia Fleurance, été 2007
17ème Festival Côté Court, Ciné 104, Pantin, juin 2008]
Extrait 1/1 : 10 premières minutes :
Lecture, blasons du corps, paysage.
Faire le portrait d’une lecture, d’un corps lisant, filmer la figure à la manière serpentine. Le texte "LJF&LM" (La-Jeune-Fille-&-La-Mort) s’échange dans la triangulation lectrice-filmeuse-spectateur. La forêt de Saint-Germain-en-Laye comme cadre sonore, le paysage pénètre l’image et interfère sur la voix. Arbres et corps. La bande sonore
« Échafaudages musique » a été réalisée pour la modèle-lectrice.
GENESE D’UNE CONSTRUCTION
2001
Au commencement
était mon désir de voir le portrait de Laura Battiferri, poétesse florentine, peint par un autre poète, Agnolo di Cosimo, dit Bronzino (1503-1578). Portrait réalisé entre 1555 et 1560. En 1558, Laura avait 35 ans, Agnolo 55.
À Florence, en février 2001, j’ai photographié la peinture, huile sur bois. La surveillante décrocha le cordon et j’ai marché sur le tapis ; elle m’enjoignit de prendre aussi avec flash. La lueur au niveau des hanches sur la robe sombre.
Au second commencement
était une lettre écrite en 2000 à une demoiselle qui m’avait exaspérée. Durant sa mise en forme, cette lettre s’est vite métamorphosée en texte littéraire. Elle ne fut jamais adressée à la demoiselle. Mais notre amitié fut rompue.
Le titre initial du texte en trois volets était : « Le suicide de la-jeune-fille-et-la-mort » et sous-titre : « Trois devenirs ». La lettre centrale « Le miroir » était précédée d’un rêve et suivie par
« La cordulie bronzée » prélevé d’une encyclopédie sur les mœurs des libellules.
Les années ont passé. Le portrait et la lettre respirèrent dans les eaux sombres, jusqu’en pays d’oubli.
2005
été. Un ami musicien (1) m’emmène dans une librairie assister à la lecture d’un texte de Duras « La douleur ». Cette lecture, performance même, un corps que traverse une voix accompagnée par les grondements et grincements d’une contrebasse (2) complice.
Cette lecture fut bouleversante. Nous laissant là, nus comme des vers, bouches ouvertes, effrayés de beauté.
J’ai alors écrit à Sonia Fleurance, comédienne, que je souhaitais la rencontrer.
Sa lecture de Duras avait soudain exhumé la lettre à la-jeune-fille-et-la-mort.
Deux années passèrent où nous eûmes des moments de reconnaissance mutuelle, d’écoute fascinée, d’amitié. Je reste dans l’interrogation en bordure d’un gouffre, l’énigme de sa personne percute la mienne, zone érogène de notre rencontre.
Je mis du temps, une année, à céder à mon désir (mêlé de crainte) de lui soumettre le texte. Sonia mit du temps à le lire, à tenter de l’apprivoiser. Ce fut une épreuve pour chacune.
2007
en mai, une vingtaine de minutes suffirent à résoudre les tensions, à canaliser les énergies : je filmai Sonia lisant LJF&LM en forêt de Saint-Germain-en-Laye. La figure serpentine, tourner autour de la figure, ce geste de vrille suggéré par le portrait de Laura (et figure de style commune à une quête propre au maniérisme, en peinture comme en sculpture ; cf « La déposition » de Pontormo, maître et ami de Bronzino), je souhaitais l’expérimenter en filmant Sonia. Tension de lectures et de relations multiples, en écho les unes des autres, sur la base du trio Texte-Voix-Filmage,
Figure-Texte-Filmeuse,
Modèle-Peinture-Artiste.
Laura-Peinture-Agnolo transposé en Sonia-texte-Sandrine.
Dix jours avant d’aller tourner autour du modèle en forêt, je remis à Sonia une composition, figure serpentine sonore, « Échafaudages musique », que je lui dédiai. Ce matériau fut la trame sonore, le filet où se déposèrent la prise de vue, de son et de voix.
(1) Makoto Sato (2) Benjamin Duboc
"[…] Je m'égare de mon droit chemin"
"[…] Dal dritto mio sentier mi piego" Pétrarque (entre les deux doigts)
TEXTE : LJF&LM
(extraits)
Un rêve
« Je suis devant un paysage.
Un ciel plus large que la terre
définit la ligne d’horizon.
Du fond de l’image montent dans le ciel et glissent
de petits points noirs.
Ils grossissent au fur et à mesure qu’ils avancent.
Le vol d’une nuée d’insectes.
Ils avancent encore et se précisent.
Des oiseaux.
Quelques dizaines d’oiseaux volent au-dessus de moi.
Deux d’entre eux me frôlent
dans un mouvement de bas en haut
semblent mesurer mon corps qu’ils touchent presque.
Des pigeons voyageurs.
Je vois dans les yeux de l’un face à mon visage.
Ses ailes ouvertes me permettent d’apprécier
les qualités du jabot
la taille de la gorge
et la lumière diffusant sur ses plumes.
Je vois la pliure ombrée sous les ailes. »
Miroir
« Debout
la robe s’étire de vos hanches aux chevilles
traçant la circonférence autour des jambes
amplement.
Dans l’espace intérieur au cercle
votre odeur est préservée
protégée par le tissu.
Il enveloppe.
Malgré cette limite c’est votre sexe juvénile
au centre du cercle qui fascine.
L’odeur insensée et inodore
attire à vous les faveurs.
Ce charme vous est propre.
Vous l’habillez de toutes les séductions.
La chose bien cachée
plus présente que sur nul autre corps féminin.
Vous la mettez en scène.
Vous marchez d’un pas véloce
vos jupes se frottent
bruit d’un fouet en cuir.
Vos vêtements pèsent plus que votre corps.
Les gilets, manteaux, houppelandes,
les robes
les cardigans accentuent l’extrême finesse de vos hanches.
Elles appellent la caresse violente.
Votre pâleur mêlée à la minceur du visage
est la force du désir auquel vous vous refusez.
Marque du combat que vous menez au sein de vous-même.
Vous ne pouvez révéler ce combat
et ne voulez le voir.
Il vous partage.
Une partie de vous refuse d’assister au
combat que mène l’autre partie.
Moi, j’y assiste.
Quand vous vous montrez si attirante
souffrance et force mêlées dans le repli
beauté si frêle
votre présence au corps
mon sexe de femme bouge
et mon âme est un gant retourné.
Il me viendrait à l’esprit
de vous souffler le visage avec
ce gant retourné.
Vous nous faites mourir.
Vous êtes la tueuse des désirs
que vous avez laissés naître en nous
que vous avez souhaités et provoqués.
Vous jouissez de refuser notre amour
vous jouissez de refuser à cette part de vous-même
qui vous implore à chaque instant le contact physique
se tord du désir d’être caressé.
Vous imposez le secret.
Vous imposez à cette autre partie de vous-même de se taire.
Elle se tait
mais à d’autres moyens d’expression.
Je la sens qui expire de vous sur tout votre corps
dans chacun de vos gestes
suppliant la caresse de s’accomplir.
Quand
dans le miroir que sont les autres
vous voyez le reflet des agissements
de vos séductions
et quand le moment est venu que la caresse de vous s’approche
celle qu’une part de votre personne a réclamé à corps et à cri
quand elle s’avance vers vous
vibre dans l’humilité
et à son tour vous supplie
vous vous reculez
vous rétractez
avez peur et vous enfuyez.
(…) »
© Sandrine Treuillard, 2000-2007
MAIL du vendredi 20 avril 2007 à sfleur
Modèle vivant
Chère Sonia,
si chère,
Je suis très émue ce matin.
J'ai trouvé à faire ton portrait telle que tu étais hier,
juste à tourner autour de toi dans la position où tu étais en lisant
"La folie du jour"(3).
Je détache Sonia de Laura.
Une forme du maniérisme est la "figure serpentine".
Tu seras ma sculpture vivante et je te caresserai du bout de la caméra, depuis la chambre numérique.
C'est ta posture, à toi.
Je souhaite que tu te vêtisses pareille qu'hier à la fabrica'son. Avec ces chaussures-là.
Il me faudra une belle lumière, du jour, et ce serait bien de mettre ton écran blanc comme fond.
Je pense filmer Sonia Fleurance chez elle.
Chercher à voir pour mieux étreindre.
Tu pourras lire si tu veux. Je ne sais pas pour le son.
Si tu veux m'offrir ta voix, je la recevrais volontiers.
Je peux peut-être t'amener un son de ma fabrique… pour ton dialogue.
Je t'embrasse fort,
tout en rejoignant la réflexion de Pascal Q. : "L'amitié, c'est l'art du vide".
Et l'amour platonique.
Portrait de chevalières de la table vide.
[Je tâtonne avec ces mots.]
S.T.
(3) Maurice Blanchot