est la performance dont j'ai fait mon premier montage, filmée avec deux caméras. Elle est l'impulsion à mon travail en vidéographie, mais nullement représentative de celles qui ont vu le jour ensuite.
Ce premier travail de montage est à l'origine d'un véritable engagement esthétique que je prends avec la technique numérique.
L'action de filmer est au cœur de mes réalisations.
"Ce qu'il y a de pierre en moi"
2005 _mini-dv _coul._23 min
Performance filmée (par Denis Moreau & Sabine Massenet)
suivie de "Cabine Luce pour Lucy"
& performance in DVD collectif "Par ce passage, infranchi…", 2006-2007, Marseille
http://lestraces.net/frioul.html
Pour « Ce qu’il y a de pierre en moi », Sandrine Treuillard a réalisé un « guide pour la performance » l’accompagnant dans le processus de lecture & les mouvements de son corps, en combinaison de plongée noire. Le film qu’elle présente ici de cette performance réalisée sur l’île Pomègues (Frioul, Marseille) interroge, par le biais de l’autofiction en Lucy, la représentation du dos, cette « île du corps ».
Une partie album d’images
« Cabine Luce pour Lucy » renseigne sur le processus de création de cette performance nourrie par l’histoire de l’art et la paléontologie, entre autres influences.
7 sept. 2007
5 sept. 2007
La Revêche
Fév. 2006 _mini-dv
coul. _26 min
Interprétation :
Sandrine Treuillard (voix off)
Emmanuel Vaudour (lecture de la lettre)
Makoto Sato (percussions)
20ème festival Les instants Vidéo, Cinéma Renoir, Martigues
Ce film-photo s'ouvre avec un extrait de "Sordidissimes" de Pascal Quignard. Il retrace les strates d'un parcours de reconnaissance de "l'hôte impossible". "La Revêche" est une sorte de narration d’après
une histoire démembrée.
Les membres d’une histoire éparpillés dans les traces indistinctes (images d'archives), dans les non-dits, les cachés, le secret. Un grand-père qui a été en prison.
« Il créait des vides en moi, des trous. C’est cela être hanté.
Des trous forcés d’accueil. Pendant plus de 25 ans, j’en ai ignoré
le sens, en subissais les symptômes. Il s’agissait de « l’hôte impossible » (P. Quignard), de Guy. Le mort parasitait ma vie. Pour que je le re-con-naisse.
Ce film retrace les strates compliquées et nombreuses de ce parcours de reconnaissance et ne manque pas de croiser l’histoire du pays.
Les secrets de famille se mêlent à la honte nationale.
Comment se transmet le non-dit ? Car il y a bien une filiation profonde, souterraine des indicibles.
Le corps reçoit en projection des histoires de ses ancêtres. »
S.T.
« C’est en fait l’appel des lieux qui me pousse à prendre ces images. L’image est le résultat du jeu subjectif des relations (micro-)lieu-boîte-corps. Mon intention est de me cacher un peu devant elle (derrière des plans flous que je cherche, derrière la boîte à lumière, derrière l’image à venir), je me cache dans elle (avec elle, par elle), pour mieux la voir.
La prendre. La capturer.
J’ai adopté la même attitude pour capturer à l’écran, avec une caméra HI8, les images des actualités de décembre 1943.
Je ne voyais pas bien le cadre à travers le viseur. Tout comme ma vue finit par se brouiller avec la mise au point en photographie. Les yeux se fatiguent. Dans cette fatigue les réglages se réalisent diffici- lement. C’est un lâcher prise. Ce moment-là offre l’image vitale au sens. »
S.T.
coul. _26 min
Interprétation :
Sandrine Treuillard (voix off)
Emmanuel Vaudour (lecture de la lettre)
Makoto Sato (percussions)
20ème festival Les instants Vidéo, Cinéma Renoir, Martigues
Ce film-photo s'ouvre avec un extrait de "Sordidissimes" de Pascal Quignard. Il retrace les strates d'un parcours de reconnaissance de "l'hôte impossible". "La Revêche" est une sorte de narration d’après
une histoire démembrée.
Les membres d’une histoire éparpillés dans les traces indistinctes (images d'archives), dans les non-dits, les cachés, le secret. Un grand-père qui a été en prison.
« Il créait des vides en moi, des trous. C’est cela être hanté.
Des trous forcés d’accueil. Pendant plus de 25 ans, j’en ai ignoré
le sens, en subissais les symptômes. Il s’agissait de « l’hôte impossible » (P. Quignard), de Guy. Le mort parasitait ma vie. Pour que je le re-con-naisse.
Ce film retrace les strates compliquées et nombreuses de ce parcours de reconnaissance et ne manque pas de croiser l’histoire du pays.
Les secrets de famille se mêlent à la honte nationale.
Comment se transmet le non-dit ? Car il y a bien une filiation profonde, souterraine des indicibles.
Le corps reçoit en projection des histoires de ses ancêtres. »
S.T.
« C’est en fait l’appel des lieux qui me pousse à prendre ces images. L’image est le résultat du jeu subjectif des relations (micro-)lieu-boîte-corps. Mon intention est de me cacher un peu devant elle (derrière des plans flous que je cherche, derrière la boîte à lumière, derrière l’image à venir), je me cache dans elle (avec elle, par elle), pour mieux la voir.
La prendre. La capturer.
J’ai adopté la même attitude pour capturer à l’écran, avec une caméra HI8, les images des actualités de décembre 1943.
Je ne voyais pas bien le cadre à travers le viseur. Tout comme ma vue finit par se brouiller avec la mise au point en photographie. Les yeux se fatiguent. Dans cette fatigue les réglages se réalisent diffici- lement. C’est un lâcher prise. Ce moment-là offre l’image vitale au sens. »
S.T.
Un même transport
Juin 2006 _mini-dv
coul. _11 min
20ème Festival Les instants Vidéo, Cinéma MK2 Bibliothèque, Paris
& 16ème Festival Côté Court, Pantin
1998, Nuremberg : embrasser le bouquet blanc des cyclamens (S.T.). Paris, 2006 : Comme une petite pensée suffit à remplir toute une vie (L. Wittgenstein). "Un même transport" est une vidéopoésie dédiée à Johannes Gachnang.
”RÊVE (10h du matin [diseur du matin])
DE LA NUIT DU 29 au 30 MAI 2006, Porte 34
Un même transport. Je suis en voiture avec mes deux sœurs [suis polyphonique ; mes sœurs autant de voix en moi]. J’ignore qui conduit. Il me semble que je suis à droite du conducteur et parfois à l’arrière, à droite, quand je me retourne pour continuer à voir l’image du dehors, depuis l’auto-mobile.
En roulant dans un paysage où des arbres & des champs bordent la route, je vois dépasser d’une haie [cette barrière me sépare de lui, l’enferme dans un autre dehors] la tête d’un cerf.
Je vois le mouvement de sa tête aller vers l’arrière, sa longue nuque se courbe sur elle-même, son museau est presque à la verticale. Sa gueule s’ouvre : il brame [la voix de l’homme, la voix profonde, la voix d’une détresse violente & sexuelle]. J’entends son brame [supplication] étouffé par la boîte en verre & métal qu’est la voiture [supplication depuis la mort ?]. [Vase à figures rouges d’Athènes : Actéon le chasseur dévoré par ses propres chiens, qu’Artémis a transfiguré en cerf].
Avec mes sœurs [unes, mêmes & différentes], une excitation nous parcourt et nous nous disons [polyphonie] : “Tu l’as vu ? Tu l’as vu ?” “Ah oui ! Ah, oui !”
Et c’est l’éblouissement.
Quelques mètres plus loin, tapi à l’ombre d’un arbre contre la haie, se détache, à peine, la couleur rousse [havane] du corps d’un autre cerf. Je vois d’abord ses cornes, ses bois grisâtres immobiles, sa tête de profil et tout son corps couché. La tête porte ses bois. Cerf noble au repos. Il regarde vers la droite, vers l’arbre, le tronc qui l’abrite.
C’est dans l’ombre. Je l’ai vu. Une de mes sœurs n’est pas parvenu à le décrypter [l’inconnu : en un seul chasseur & chassé, figé].
Nous roulons encore & cette fois-ci, c’est un petit cerf qui trottine, toujours la même couleur de robe, le roux brille au soleil sur sa croupe. Il avance joyeusement.
Puis, un groupe de chevaux de petite taille semblent en liberté dans des chemins entre les champs. Ils ont aussi de belles couleurs, certains sont plus foncés que les cerfs. Ils sont gracieux & joyeux dans leur déplacement, un peu comme des cabris. Je vois le soleil en taches sur leur couleur.
Avec mes sœurs, nous nous étonnons de les voir ainsi en liberté.”
S.T.
”NOTES SUIVANT LE RÊVE
Ce matin, ma gorge est prise. Enserrée. Brûlante. Comme si je n’allais plus “pouvoir parler”, devenir aphone. Entendre le brame me laisse sans voix. Qu’est-ce qui me la capture ? cherche à m’en priver.
Hier, j’ai appelé P. Q. sur son portable [réceptacle des voix] et ai eu immédiatement sa messagerie. Sa voix un peu enrayée par la machine, ou plutôt que la machine finit par rendre métallique [le passage nu & tremblant de la voix connue d’un homme quasi-inconnu_pas connu personnellement, connu à le lire, par le jeu, l’échange de la voix intérieure lisant, reconstituant la voix intérieure de l’écrivain_]. Elle disait simplement : “Vous pouvez parler.” J’ai dit ma phrase.
En étais-je vraiment capable ? Avais-je la permission de parler ?
La voix humaine proche du brame est la seule éloquence.
La gorge, les poumons, “un sac, une poche au creux de la bouche”.
Quel instrument tire le son de la voix humaine masculine & virile vers un brame ?
Quel espace ?
Quel réceptacle au souffle vibrant ?
Le visiteur inconnu lisait le dépliant dans les pièces de l’abbaye de Fontenay. Il pleuvait à merveille. L’eau, la pierre. Comme les lieux enveloppaient et portaient cette gravité chantante. Je me déplaçais le microphone tendu à bout de bras. L’homme avait disparu un instant derrière un pan de mur. Entre deux phrases qu’il lisait à sa famille, nous nous étions souri.
Malgré pudeur il m’accordait cette capture.
Est-ce que je peux vraiment parler ?
La poésie suppure. Ce ne sont plus des mots, seulement. Les images, les sons que je capture me renvoient aux coulisses du monde, à la préparation à la représentation, à l’intimité en amont de la représentation. Ce moment, cet espace-là m’entraîne, m’attire, m’aimante. Je l’aime et en deviens l’amante.
Ces instants en coulisse glissent vers la représentation. J’en suis traversée.
Les mouvements du déplacement sensible, le moment du jaillissement.
Ce qui se passe entre l’énoncé : “Embrasser le bouquet blanc des cyclamens” et les images visibles de cet acte. Acte d’écrire dans l’espace, sur un objet.
Á l’origine (en 1998) de cette révolution du visage autour des cyclamens était une citation d’un autre autrichien : Rainer Maria Rilke : “Tout ange est effrayant”. En 2006, à l’aboutissement de ce transport, la voix chantée : Ludwig Wittgenstein : “Comme une petite pensée suffit à remplir toute une vie”.
Se produit la sorte d’apprivoisement de l’inconnu entre ces deux temps, ces deux voix d’hommes. L’inconnu : c’est aussi l’écriture, l’acte d’écrire vu comme marque masculine, comme expression de ma part masculine.
Oser écrire depuis le brame. Comme la voix, l’écriture prend sa source dans l’énergie sexuelle. Énergie virile, depuis ce puits à l’envers dans mon ventre. Le lieu de la féminité abrite, enveloppe cette énergie virile. Elle “prend de la hauteur” se détache et jaillit en traversant le corps. Choré-grahie.
Vidéopoésie dédiée à Johannes Gachnang.
Montage [caresses d’images se dédoublant] pour le tré-passé [passé au travers, de l’autre côté, en 2005] en 2006.
En 1998, la vidéo-performance comme déclaration d’amour. Parade platonique. Une danse en rond comme celle de l’abeille butineuse. Jusqu’à éraillement des ailes, jusqu’à épuisement des forces récolter le miel. Programmée pour mourir à la tâche.
Johannes Gachnang : un suisse : le cerf : Hirschhorn : animal inscrit dans l’imaginaire suisse. Me souviens de L’institut Benjamenta de Robert Walser.
Le livre, le film. Passage onirique : un cerf dans le couloir transformé en forêt.
Walser mort dans la région de Berne, à l’hôpital psychiatrique de Herisau. Johannes est mort d’un cancer à la bouche [fumeur de havane] à “l’hôpital de l’île”[ainsi le notait-il sur ses cartes postales]. Á Insel, Berne. En fait, une tour gigantesque, l’hôpital. Prendre l’ascenseur jusqu’à l’étage treize.
J.G. m’avait introduite à la littérature walsérienne. Repense à ces danses, dans l’institut Benjamenta, les corps apprêtés au travail de valet, des mains de Kraus, ses gestes gracieux dans un corps dur et robuste. Les phrases de Jakob (Walser) : une danse. Le film & le livre se mêlent.
Les images, les mots, les voix, les visages & les temps se frôlent.
Un même transport. ”
S.T.
Ludwig Wittgenstein le visage en partie caché par un bouquet de cyclamens blancs. _Photographie de Moritz Nähr - 1931 - Palais Stonborough, Renngasse, Vienne. Extraite du catalogue “Wittgenstein -biographie . philosophie . praxis- Wiener Secession (Exposition à la Wiener Secession 13 septembre - 29 octobre 1989)”.
coul. _11 min
20ème Festival Les instants Vidéo, Cinéma MK2 Bibliothèque, Paris
& 16ème Festival Côté Court, Pantin
1998, Nuremberg : embrasser le bouquet blanc des cyclamens (S.T.). Paris, 2006 : Comme une petite pensée suffit à remplir toute une vie (L. Wittgenstein). "Un même transport" est une vidéopoésie dédiée à Johannes Gachnang.
”RÊVE (10h du matin [diseur du matin])
DE LA NUIT DU 29 au 30 MAI 2006, Porte 34
Un même transport. Je suis en voiture avec mes deux sœurs [suis polyphonique ; mes sœurs autant de voix en moi]. J’ignore qui conduit. Il me semble que je suis à droite du conducteur et parfois à l’arrière, à droite, quand je me retourne pour continuer à voir l’image du dehors, depuis l’auto-mobile.
En roulant dans un paysage où des arbres & des champs bordent la route, je vois dépasser d’une haie [cette barrière me sépare de lui, l’enferme dans un autre dehors] la tête d’un cerf.
Je vois le mouvement de sa tête aller vers l’arrière, sa longue nuque se courbe sur elle-même, son museau est presque à la verticale. Sa gueule s’ouvre : il brame [la voix de l’homme, la voix profonde, la voix d’une détresse violente & sexuelle]. J’entends son brame [supplication] étouffé par la boîte en verre & métal qu’est la voiture [supplication depuis la mort ?]. [Vase à figures rouges d’Athènes : Actéon le chasseur dévoré par ses propres chiens, qu’Artémis a transfiguré en cerf].
Avec mes sœurs [unes, mêmes & différentes], une excitation nous parcourt et nous nous disons [polyphonie] : “Tu l’as vu ? Tu l’as vu ?” “Ah oui ! Ah, oui !”
Et c’est l’éblouissement.
Quelques mètres plus loin, tapi à l’ombre d’un arbre contre la haie, se détache, à peine, la couleur rousse [havane] du corps d’un autre cerf. Je vois d’abord ses cornes, ses bois grisâtres immobiles, sa tête de profil et tout son corps couché. La tête porte ses bois. Cerf noble au repos. Il regarde vers la droite, vers l’arbre, le tronc qui l’abrite.
C’est dans l’ombre. Je l’ai vu. Une de mes sœurs n’est pas parvenu à le décrypter [l’inconnu : en un seul chasseur & chassé, figé].
Nous roulons encore & cette fois-ci, c’est un petit cerf qui trottine, toujours la même couleur de robe, le roux brille au soleil sur sa croupe. Il avance joyeusement.
Puis, un groupe de chevaux de petite taille semblent en liberté dans des chemins entre les champs. Ils ont aussi de belles couleurs, certains sont plus foncés que les cerfs. Ils sont gracieux & joyeux dans leur déplacement, un peu comme des cabris. Je vois le soleil en taches sur leur couleur.
Avec mes sœurs, nous nous étonnons de les voir ainsi en liberté.”
S.T.
”NOTES SUIVANT LE RÊVE
Ce matin, ma gorge est prise. Enserrée. Brûlante. Comme si je n’allais plus “pouvoir parler”, devenir aphone. Entendre le brame me laisse sans voix. Qu’est-ce qui me la capture ? cherche à m’en priver.
Hier, j’ai appelé P. Q. sur son portable [réceptacle des voix] et ai eu immédiatement sa messagerie. Sa voix un peu enrayée par la machine, ou plutôt que la machine finit par rendre métallique [le passage nu & tremblant de la voix connue d’un homme quasi-inconnu_pas connu personnellement, connu à le lire, par le jeu, l’échange de la voix intérieure lisant, reconstituant la voix intérieure de l’écrivain_]. Elle disait simplement : “Vous pouvez parler.” J’ai dit ma phrase.
En étais-je vraiment capable ? Avais-je la permission de parler ?
La voix humaine proche du brame est la seule éloquence.
La gorge, les poumons, “un sac, une poche au creux de la bouche”.
Quel instrument tire le son de la voix humaine masculine & virile vers un brame ?
Quel espace ?
Quel réceptacle au souffle vibrant ?
Le visiteur inconnu lisait le dépliant dans les pièces de l’abbaye de Fontenay. Il pleuvait à merveille. L’eau, la pierre. Comme les lieux enveloppaient et portaient cette gravité chantante. Je me déplaçais le microphone tendu à bout de bras. L’homme avait disparu un instant derrière un pan de mur. Entre deux phrases qu’il lisait à sa famille, nous nous étions souri.
Malgré pudeur il m’accordait cette capture.
Est-ce que je peux vraiment parler ?
La poésie suppure. Ce ne sont plus des mots, seulement. Les images, les sons que je capture me renvoient aux coulisses du monde, à la préparation à la représentation, à l’intimité en amont de la représentation. Ce moment, cet espace-là m’entraîne, m’attire, m’aimante. Je l’aime et en deviens l’amante.
Ces instants en coulisse glissent vers la représentation. J’en suis traversée.
Les mouvements du déplacement sensible, le moment du jaillissement.
Ce qui se passe entre l’énoncé : “Embrasser le bouquet blanc des cyclamens” et les images visibles de cet acte. Acte d’écrire dans l’espace, sur un objet.
Á l’origine (en 1998) de cette révolution du visage autour des cyclamens était une citation d’un autre autrichien : Rainer Maria Rilke : “Tout ange est effrayant”. En 2006, à l’aboutissement de ce transport, la voix chantée : Ludwig Wittgenstein : “Comme une petite pensée suffit à remplir toute une vie”.
Se produit la sorte d’apprivoisement de l’inconnu entre ces deux temps, ces deux voix d’hommes. L’inconnu : c’est aussi l’écriture, l’acte d’écrire vu comme marque masculine, comme expression de ma part masculine.
Oser écrire depuis le brame. Comme la voix, l’écriture prend sa source dans l’énergie sexuelle. Énergie virile, depuis ce puits à l’envers dans mon ventre. Le lieu de la féminité abrite, enveloppe cette énergie virile. Elle “prend de la hauteur” se détache et jaillit en traversant le corps. Choré-grahie.
Vidéopoésie dédiée à Johannes Gachnang.
Montage [caresses d’images se dédoublant] pour le tré-passé [passé au travers, de l’autre côté, en 2005] en 2006.
En 1998, la vidéo-performance comme déclaration d’amour. Parade platonique. Une danse en rond comme celle de l’abeille butineuse. Jusqu’à éraillement des ailes, jusqu’à épuisement des forces récolter le miel. Programmée pour mourir à la tâche.
Johannes Gachnang : un suisse : le cerf : Hirschhorn : animal inscrit dans l’imaginaire suisse. Me souviens de L’institut Benjamenta de Robert Walser.
Le livre, le film. Passage onirique : un cerf dans le couloir transformé en forêt.
Walser mort dans la région de Berne, à l’hôpital psychiatrique de Herisau. Johannes est mort d’un cancer à la bouche [fumeur de havane] à “l’hôpital de l’île”[ainsi le notait-il sur ses cartes postales]. Á Insel, Berne. En fait, une tour gigantesque, l’hôpital. Prendre l’ascenseur jusqu’à l’étage treize.
J.G. m’avait introduite à la littérature walsérienne. Repense à ces danses, dans l’institut Benjamenta, les corps apprêtés au travail de valet, des mains de Kraus, ses gestes gracieux dans un corps dur et robuste. Les phrases de Jakob (Walser) : une danse. Le film & le livre se mêlent.
Les images, les mots, les voix, les visages & les temps se frôlent.
Un même transport. ”
S.T.
Ludwig Wittgenstein le visage en partie caché par un bouquet de cyclamens blancs. _Photographie de Moritz Nähr - 1931 - Palais Stonborough, Renngasse, Vienne. Extraite du catalogue “Wittgenstein -biographie . philosophie . praxis- Wiener Secession (Exposition à la Wiener Secession 13 septembre - 29 octobre 1989)”.
Pour en finir avec Jeanne d'Arc
Nov. 2006 _ mini-dv
coul. _ 54 min
2cde Projection Privée, Sonia Fleurance, été 2007
Ensemble de 5 vidéos
_ Jehanne 2006 _ 22'
_ De ses voix _ 2'45
_ 5 petits blasons pour en finir avec Jeanne d’Arc _ 12'20"
_ Le rêve de Jehanne _ 2'50"
_ Jehanne mise en abîme _ 15'30
“Le sens de la répartie de Jehanne est aussi le sens du retrait” S.T.
JEHANNE 2006 - 22' - 1er volet /5
Jehanne 2006 (10 1ères minutes sur YouTube)
" Ses paroles. Son ordalie.
La Sourdaie est le nom du coin de terre que mon père, Sylvain, a acquis. Le demi hectare traversé de sources se jette doucement et sans tarir dans l’étang sauvage, plus bas.
J’ai filmé durant 31 minutes un filet de l’eau sur les cailloux. Quelques mètres carrés se sont réduits en centimètres carrés : macro-paysage. Ai introduit le micro sous les ronces, dans quelques fossés… Encore marché dans les broussailles. Terrain subtil. Les eaux frôlent la surface de cette terre.
Longue macro-vidéographie, la lumière irradie les eaux par fulgurance. La quête d’on ne sait quoi est errance. L’errance mène à la découverte. Des pépites. Les cailloux donnent forme au cours d’eau. Le vent en accélère sa course perpétuelle. La petite noisette échue fait obstacle.
La fatigue du poignet annonce la fin du filmage. Filmer ces éléments devient une ordalie contemplative, une épreuve de résistance pour sentir jusqu’au bout sa force. La force se consume à mesure qu’elle s’exerce. Les tremblements provoquent d’autres radiations, bleues, avec l’incidence optique. L’angle des rayons solaires colorent la lumière sur l’eau : nature d’un alliage métallique. Du jaune d’argent aux oxydes de manganèse. Quelque chose brûle l’eau et l’image.
Sur les trois plans séquence (le principal durant plus de 15 minutes), la voix alto dit "je". "Je" suis Jehanne répondant à ses interrogatoires, au procès et en prison. Aucune question des Cauchon ni Beaurepère ne sont perçues. Jehanne affirme, grave. Le montage de ses paroles : ses voix lui ordonnent ; l’habit d’homme ; le sort des anglais ; son erreur d’avoir signé l’abjuration. Musicalité des eaux, rythme des pas dans les cailloux, les marécages…
Je lis la Sourdaie imprimant lumière & sons sur la cassette digitale. J’enregistre une partie où mon père se retranche. Son refuge. Il se réfugie dans la parole de la Sourdaie (percevoir comme paroles : reflets, bruissements d’eaux, vent dans les feuillages, brindilles cassant sous les pas, criaillement des cailloux : tous éléments mobiles, changeants). En ma présence Sylvain se retranche derrière le vacarme de la débroussailleuse qu’il pousse tandis que j’écoute l’intime Sourdaie.
Sylvain me laisse faire cela. Il m’y invite même, tacitement. Ce lieu comme l’aveu déguisé qu’il me fait partager.
Je filme, je tire le fil de l’image : j’écris. Je lis. Il pousse : il se tait, se terre dans le vacarme. Quelque chose sourd.
Jehanne se recueille, se ressource ; ses paroles coulent de cette source, avec la même évidence naturelle, le même mystère. Tout autant ses paroles alimentent la source. L’eau plus qu’un pendant à ses paroles : Jehanne est la source. Les eaux vont jusqu’à brûler par elles-mêmes.
Jehanne coule à sa perte, de source. "
S.T.
[ Extraits du procès de Jeanne d’Arc choisis & lus par Sandrine Treuillard tirés de "J’ai nom Jeanne la Pucelle" de Régine Pernoud, Découvertes Gallimard, 1994 ]
DE SES VOIX - 2'45" - 2cd volet
De ses voix (2'36 /3'15)
Filmer les phrases gravées dans la pierre des piédestals. Cliquetis, glissements, frottements au sol et voix alentours sur le parvis
de la cathédrale d’Orléans. Un moment, un geste de lecture.
5 PETITS BLASONS pour en finir avec Jeanne d'Arc - 12'20" - 3ème volet /5
5 petits blasons (10' / 12'30)
Macro-autoportraits, minis-performances se mêlent à l’iconographie de Jeanne d’Arc. Mythe & petites fictions. Filmer dans un miroir les images d’un livre, sa mise en page. Saynètes imprévues du corps à l’échelle du blason.
[ Iconographie filmée du livre "J’ai nom Jeanne la Pucelle" de Régine Pernoud, Découvertes Gallimard, 1994 ]
LE RÊVE DE JEHANNE - 2'50" - 4éme volet/5
Le sexe féminin, ventre, cuisses & fesses nus, dans la pleine lumière d'un miroir. Ballade, le bassin se déhanche doucement.
L’amour courtois est une mise à distance de l’acte sexuel immédiat.
Chant a capela :
"Amor mi fa cantar a la Francesca"
par le ténor Rogers Covey-Crump.
JEHANNE MISE EN ABYME - 15'30 - 5ème volet /5
Jehanne mise en abyme (7'22 / 12'30)
Lecture des vitraux de la cathédrale Sainte-Croix d’Orléans, le récit en images de l’épopée de Jeanne d’Arc.
La caméra entre mes mains est un stylus, elle capture des détails : damassés, couleurs vives, manganèse, vert, rouge ; dessins, mailles de fer, armures.
Les gestes des personnages dictent le glissement incertain de la lecture.
Quête, recherche du visage qui répond à la main.
Le plomb, comme autant de séparation en séquences, maintient des fragments ensemble.
coul. _ 54 min
2cde Projection Privée, Sonia Fleurance, été 2007
Ensemble de 5 vidéos
_ Jehanne 2006 _ 22'
_ De ses voix _ 2'45
_ 5 petits blasons pour en finir avec Jeanne d’Arc _ 12'20"
_ Le rêve de Jehanne _ 2'50"
_ Jehanne mise en abîme _ 15'30
“Le sens de la répartie de Jehanne est aussi le sens du retrait” S.T.
JEHANNE 2006 - 22' - 1er volet /5
Jehanne 2006 (10 1ères minutes sur YouTube)
" Ses paroles. Son ordalie.
La Sourdaie est le nom du coin de terre que mon père, Sylvain, a acquis. Le demi hectare traversé de sources se jette doucement et sans tarir dans l’étang sauvage, plus bas.
J’ai filmé durant 31 minutes un filet de l’eau sur les cailloux. Quelques mètres carrés se sont réduits en centimètres carrés : macro-paysage. Ai introduit le micro sous les ronces, dans quelques fossés… Encore marché dans les broussailles. Terrain subtil. Les eaux frôlent la surface de cette terre.
Longue macro-vidéographie, la lumière irradie les eaux par fulgurance. La quête d’on ne sait quoi est errance. L’errance mène à la découverte. Des pépites. Les cailloux donnent forme au cours d’eau. Le vent en accélère sa course perpétuelle. La petite noisette échue fait obstacle.
La fatigue du poignet annonce la fin du filmage. Filmer ces éléments devient une ordalie contemplative, une épreuve de résistance pour sentir jusqu’au bout sa force. La force se consume à mesure qu’elle s’exerce. Les tremblements provoquent d’autres radiations, bleues, avec l’incidence optique. L’angle des rayons solaires colorent la lumière sur l’eau : nature d’un alliage métallique. Du jaune d’argent aux oxydes de manganèse. Quelque chose brûle l’eau et l’image.
Sur les trois plans séquence (le principal durant plus de 15 minutes), la voix alto dit "je". "Je" suis Jehanne répondant à ses interrogatoires, au procès et en prison. Aucune question des Cauchon ni Beaurepère ne sont perçues. Jehanne affirme, grave. Le montage de ses paroles : ses voix lui ordonnent ; l’habit d’homme ; le sort des anglais ; son erreur d’avoir signé l’abjuration. Musicalité des eaux, rythme des pas dans les cailloux, les marécages…
Je lis la Sourdaie imprimant lumière & sons sur la cassette digitale. J’enregistre une partie où mon père se retranche. Son refuge. Il se réfugie dans la parole de la Sourdaie (percevoir comme paroles : reflets, bruissements d’eaux, vent dans les feuillages, brindilles cassant sous les pas, criaillement des cailloux : tous éléments mobiles, changeants). En ma présence Sylvain se retranche derrière le vacarme de la débroussailleuse qu’il pousse tandis que j’écoute l’intime Sourdaie.
Sylvain me laisse faire cela. Il m’y invite même, tacitement. Ce lieu comme l’aveu déguisé qu’il me fait partager.
Je filme, je tire le fil de l’image : j’écris. Je lis. Il pousse : il se tait, se terre dans le vacarme. Quelque chose sourd.
Jehanne se recueille, se ressource ; ses paroles coulent de cette source, avec la même évidence naturelle, le même mystère. Tout autant ses paroles alimentent la source. L’eau plus qu’un pendant à ses paroles : Jehanne est la source. Les eaux vont jusqu’à brûler par elles-mêmes.
Jehanne coule à sa perte, de source. "
S.T.
[ Extraits du procès de Jeanne d’Arc choisis & lus par Sandrine Treuillard tirés de "J’ai nom Jeanne la Pucelle" de Régine Pernoud, Découvertes Gallimard, 1994 ]
DE SES VOIX - 2'45" - 2cd volet
De ses voix (2'36 /3'15)
Filmer les phrases gravées dans la pierre des piédestals. Cliquetis, glissements, frottements au sol et voix alentours sur le parvis
de la cathédrale d’Orléans. Un moment, un geste de lecture.
5 PETITS BLASONS pour en finir avec Jeanne d'Arc - 12'20" - 3ème volet /5
5 petits blasons (10' / 12'30)
Macro-autoportraits, minis-performances se mêlent à l’iconographie de Jeanne d’Arc. Mythe & petites fictions. Filmer dans un miroir les images d’un livre, sa mise en page. Saynètes imprévues du corps à l’échelle du blason.
[ Iconographie filmée du livre "J’ai nom Jeanne la Pucelle" de Régine Pernoud, Découvertes Gallimard, 1994 ]
LE RÊVE DE JEHANNE - 2'50" - 4éme volet/5
Le sexe féminin, ventre, cuisses & fesses nus, dans la pleine lumière d'un miroir. Ballade, le bassin se déhanche doucement.
L’amour courtois est une mise à distance de l’acte sexuel immédiat.
Chant a capela :
"Amor mi fa cantar a la Francesca"
par le ténor Rogers Covey-Crump.
JEHANNE MISE EN ABYME - 15'30 - 5ème volet /5
Jehanne mise en abyme (7'22 / 12'30)
Lecture des vitraux de la cathédrale Sainte-Croix d’Orléans, le récit en images de l’épopée de Jeanne d’Arc.
La caméra entre mes mains est un stylus, elle capture des détails : damassés, couleurs vives, manganèse, vert, rouge ; dessins, mailles de fer, armures.
Les gestes des personnages dictent le glissement incertain de la lecture.
Quête, recherche du visage qui répond à la main.
Le plomb, comme autant de séparation en séquences, maintient des fragments ensemble.
Sonia & LJF&LM
Mai 2007 _ mini-dv
coul. _ 26 min
Modèle & lecture : Sonia Fleurance
Filmage, texte, composition sonore, montage & mixage :
Sandrine Treuillard
[2cde Projection Privée, Sonia Fleurance, été 2007
17ème Festival Côté Court, Ciné 104, Pantin, juin 2008]
Extrait 1/1 : 10 premières minutes :
Lecture, blasons du corps, paysage.
Faire le portrait d’une lecture, d’un corps lisant, filmer la figure à la manière serpentine. Le texte "LJF&LM" (La-Jeune-Fille-&-La-Mort) s’échange dans la triangulation lectrice-filmeuse-spectateur. La forêt de Saint-Germain-en-Laye comme cadre sonore, le paysage pénètre l’image et interfère sur la voix. Arbres et corps. La bande sonore
« Échafaudages musique » a été réalisée pour la modèle-lectrice.
GENESE D’UNE CONSTRUCTION
2001
Au commencement
était mon désir de voir le portrait de Laura Battiferri, poétesse florentine, peint par un autre poète, Agnolo di Cosimo, dit Bronzino (1503-1578). Portrait réalisé entre 1555 et 1560. En 1558, Laura avait 35 ans, Agnolo 55.
À Florence, en février 2001, j’ai photographié la peinture, huile sur bois. La surveillante décrocha le cordon et j’ai marché sur le tapis ; elle m’enjoignit de prendre aussi avec flash. La lueur au niveau des hanches sur la robe sombre.
Au second commencement
était une lettre écrite en 2000 à une demoiselle qui m’avait exaspérée. Durant sa mise en forme, cette lettre s’est vite métamorphosée en texte littéraire. Elle ne fut jamais adressée à la demoiselle. Mais notre amitié fut rompue.
Le titre initial du texte en trois volets était : « Le suicide de la-jeune-fille-et-la-mort » et sous-titre : « Trois devenirs ». La lettre centrale « Le miroir » était précédée d’un rêve et suivie par
« La cordulie bronzée » prélevé d’une encyclopédie sur les mœurs des libellules.
Les années ont passé. Le portrait et la lettre respirèrent dans les eaux sombres, jusqu’en pays d’oubli.
2005
été. Un ami musicien (1) m’emmène dans une librairie assister à la lecture d’un texte de Duras « La douleur ». Cette lecture, performance même, un corps que traverse une voix accompagnée par les grondements et grincements d’une contrebasse (2) complice.
Cette lecture fut bouleversante. Nous laissant là, nus comme des vers, bouches ouvertes, effrayés de beauté.
J’ai alors écrit à Sonia Fleurance, comédienne, que je souhaitais la rencontrer.
Sa lecture de Duras avait soudain exhumé la lettre à la-jeune-fille-et-la-mort.
Deux années passèrent où nous eûmes des moments de reconnaissance mutuelle, d’écoute fascinée, d’amitié. Je reste dans l’interrogation en bordure d’un gouffre, l’énigme de sa personne percute la mienne, zone érogène de notre rencontre.
Je mis du temps, une année, à céder à mon désir (mêlé de crainte) de lui soumettre le texte. Sonia mit du temps à le lire, à tenter de l’apprivoiser. Ce fut une épreuve pour chacune.
2007
en mai, une vingtaine de minutes suffirent à résoudre les tensions, à canaliser les énergies : je filmai Sonia lisant LJF&LM en forêt de Saint-Germain-en-Laye. La figure serpentine, tourner autour de la figure, ce geste de vrille suggéré par le portrait de Laura (et figure de style commune à une quête propre au maniérisme, en peinture comme en sculpture ; cf « La déposition » de Pontormo, maître et ami de Bronzino), je souhaitais l’expérimenter en filmant Sonia. Tension de lectures et de relations multiples, en écho les unes des autres, sur la base du trio Texte-Voix-Filmage,
Figure-Texte-Filmeuse,
Modèle-Peinture-Artiste.
Laura-Peinture-Agnolo transposé en Sonia-texte-Sandrine.
Dix jours avant d’aller tourner autour du modèle en forêt, je remis à Sonia une composition, figure serpentine sonore, « Échafaudages musique », que je lui dédiai. Ce matériau fut la trame sonore, le filet où se déposèrent la prise de vue, de son et de voix.
(1) Makoto Sato (2) Benjamin Duboc
"[…] Je m'égare de mon droit chemin"
"[…] Dal dritto mio sentier mi piego" Pétrarque (entre les deux doigts)
TEXTE : LJF&LM
(extraits)
Un rêve
« Je suis devant un paysage.
Un ciel plus large que la terre
définit la ligne d’horizon.
Du fond de l’image montent dans le ciel et glissent
de petits points noirs.
Ils grossissent au fur et à mesure qu’ils avancent.
Le vol d’une nuée d’insectes.
Ils avancent encore et se précisent.
Des oiseaux.
Quelques dizaines d’oiseaux volent au-dessus de moi.
Deux d’entre eux me frôlent
dans un mouvement de bas en haut
semblent mesurer mon corps qu’ils touchent presque.
Des pigeons voyageurs.
Je vois dans les yeux de l’un face à mon visage.
Ses ailes ouvertes me permettent d’apprécier
les qualités du jabot
la taille de la gorge
et la lumière diffusant sur ses plumes.
Je vois la pliure ombrée sous les ailes. »
Miroir
« Debout
la robe s’étire de vos hanches aux chevilles
traçant la circonférence autour des jambes
amplement.
Dans l’espace intérieur au cercle
votre odeur est préservée
protégée par le tissu.
Il enveloppe.
Malgré cette limite c’est votre sexe juvénile
au centre du cercle qui fascine.
L’odeur insensée et inodore
attire à vous les faveurs.
Ce charme vous est propre.
Vous l’habillez de toutes les séductions.
La chose bien cachée
plus présente que sur nul autre corps féminin.
Vous la mettez en scène.
Vous marchez d’un pas véloce
vos jupes se frottent
bruit d’un fouet en cuir.
Vos vêtements pèsent plus que votre corps.
Les gilets, manteaux, houppelandes,
les robes
les cardigans accentuent l’extrême finesse de vos hanches.
Elles appellent la caresse violente.
Votre pâleur mêlée à la minceur du visage
est la force du désir auquel vous vous refusez.
Marque du combat que vous menez au sein de vous-même.
Vous ne pouvez révéler ce combat
et ne voulez le voir.
Il vous partage.
Une partie de vous refuse d’assister au
combat que mène l’autre partie.
Moi, j’y assiste.
Quand vous vous montrez si attirante
souffrance et force mêlées dans le repli
beauté si frêle
votre présence au corps
mon sexe de femme bouge
et mon âme est un gant retourné.
Il me viendrait à l’esprit
de vous souffler le visage avec
ce gant retourné.
Vous nous faites mourir.
Vous êtes la tueuse des désirs
que vous avez laissés naître en nous
que vous avez souhaités et provoqués.
Vous jouissez de refuser notre amour
vous jouissez de refuser à cette part de vous-même
qui vous implore à chaque instant le contact physique
se tord du désir d’être caressé.
Vous imposez le secret.
Vous imposez à cette autre partie de vous-même de se taire.
Elle se tait
mais à d’autres moyens d’expression.
Je la sens qui expire de vous sur tout votre corps
dans chacun de vos gestes
suppliant la caresse de s’accomplir.
Quand
dans le miroir que sont les autres
vous voyez le reflet des agissements
de vos séductions
et quand le moment est venu que la caresse de vous s’approche
celle qu’une part de votre personne a réclamé à corps et à cri
quand elle s’avance vers vous
vibre dans l’humilité
et à son tour vous supplie
vous vous reculez
vous rétractez
avez peur et vous enfuyez.
(…) »
© Sandrine Treuillard, 2000-2007
MAIL du vendredi 20 avril 2007 à sfleur
Modèle vivant
Chère Sonia,
si chère,
Je suis très émue ce matin.
J'ai trouvé à faire ton portrait telle que tu étais hier,
juste à tourner autour de toi dans la position où tu étais en lisant
"La folie du jour"(3).
Je détache Sonia de Laura.
Une forme du maniérisme est la "figure serpentine".
Tu seras ma sculpture vivante et je te caresserai du bout de la caméra, depuis la chambre numérique.
C'est ta posture, à toi.
Je souhaite que tu te vêtisses pareille qu'hier à la fabrica'son. Avec ces chaussures-là.
Il me faudra une belle lumière, du jour, et ce serait bien de mettre ton écran blanc comme fond.
Je pense filmer Sonia Fleurance chez elle.
Chercher à voir pour mieux étreindre.
Tu pourras lire si tu veux. Je ne sais pas pour le son.
Si tu veux m'offrir ta voix, je la recevrais volontiers.
Je peux peut-être t'amener un son de ma fabrique… pour ton dialogue.
Je t'embrasse fort,
tout en rejoignant la réflexion de Pascal Q. : "L'amitié, c'est l'art du vide".
Et l'amour platonique.
Portrait de chevalières de la table vide.
[Je tâtonne avec ces mots.]
S.T.
(3) Maurice Blanchot
coul. _ 26 min
Modèle & lecture : Sonia Fleurance
Filmage, texte, composition sonore, montage & mixage :
Sandrine Treuillard
[2cde Projection Privée, Sonia Fleurance, été 2007
17ème Festival Côté Court, Ciné 104, Pantin, juin 2008]
Extrait 1/1 : 10 premières minutes :
Lecture, blasons du corps, paysage.
Faire le portrait d’une lecture, d’un corps lisant, filmer la figure à la manière serpentine. Le texte "LJF&LM" (La-Jeune-Fille-&-La-Mort) s’échange dans la triangulation lectrice-filmeuse-spectateur. La forêt de Saint-Germain-en-Laye comme cadre sonore, le paysage pénètre l’image et interfère sur la voix. Arbres et corps. La bande sonore
« Échafaudages musique » a été réalisée pour la modèle-lectrice.
GENESE D’UNE CONSTRUCTION
2001
Au commencement
était mon désir de voir le portrait de Laura Battiferri, poétesse florentine, peint par un autre poète, Agnolo di Cosimo, dit Bronzino (1503-1578). Portrait réalisé entre 1555 et 1560. En 1558, Laura avait 35 ans, Agnolo 55.
À Florence, en février 2001, j’ai photographié la peinture, huile sur bois. La surveillante décrocha le cordon et j’ai marché sur le tapis ; elle m’enjoignit de prendre aussi avec flash. La lueur au niveau des hanches sur la robe sombre.
Au second commencement
était une lettre écrite en 2000 à une demoiselle qui m’avait exaspérée. Durant sa mise en forme, cette lettre s’est vite métamorphosée en texte littéraire. Elle ne fut jamais adressée à la demoiselle. Mais notre amitié fut rompue.
Le titre initial du texte en trois volets était : « Le suicide de la-jeune-fille-et-la-mort » et sous-titre : « Trois devenirs ». La lettre centrale « Le miroir » était précédée d’un rêve et suivie par
« La cordulie bronzée » prélevé d’une encyclopédie sur les mœurs des libellules.
Les années ont passé. Le portrait et la lettre respirèrent dans les eaux sombres, jusqu’en pays d’oubli.
2005
été. Un ami musicien (1) m’emmène dans une librairie assister à la lecture d’un texte de Duras « La douleur ». Cette lecture, performance même, un corps que traverse une voix accompagnée par les grondements et grincements d’une contrebasse (2) complice.
Cette lecture fut bouleversante. Nous laissant là, nus comme des vers, bouches ouvertes, effrayés de beauté.
J’ai alors écrit à Sonia Fleurance, comédienne, que je souhaitais la rencontrer.
Sa lecture de Duras avait soudain exhumé la lettre à la-jeune-fille-et-la-mort.
Deux années passèrent où nous eûmes des moments de reconnaissance mutuelle, d’écoute fascinée, d’amitié. Je reste dans l’interrogation en bordure d’un gouffre, l’énigme de sa personne percute la mienne, zone érogène de notre rencontre.
Je mis du temps, une année, à céder à mon désir (mêlé de crainte) de lui soumettre le texte. Sonia mit du temps à le lire, à tenter de l’apprivoiser. Ce fut une épreuve pour chacune.
2007
en mai, une vingtaine de minutes suffirent à résoudre les tensions, à canaliser les énergies : je filmai Sonia lisant LJF&LM en forêt de Saint-Germain-en-Laye. La figure serpentine, tourner autour de la figure, ce geste de vrille suggéré par le portrait de Laura (et figure de style commune à une quête propre au maniérisme, en peinture comme en sculpture ; cf « La déposition » de Pontormo, maître et ami de Bronzino), je souhaitais l’expérimenter en filmant Sonia. Tension de lectures et de relations multiples, en écho les unes des autres, sur la base du trio Texte-Voix-Filmage,
Figure-Texte-Filmeuse,
Modèle-Peinture-Artiste.
Laura-Peinture-Agnolo transposé en Sonia-texte-Sandrine.
Dix jours avant d’aller tourner autour du modèle en forêt, je remis à Sonia une composition, figure serpentine sonore, « Échafaudages musique », que je lui dédiai. Ce matériau fut la trame sonore, le filet où se déposèrent la prise de vue, de son et de voix.
(1) Makoto Sato (2) Benjamin Duboc
"[…] Je m'égare de mon droit chemin"
"[…] Dal dritto mio sentier mi piego" Pétrarque (entre les deux doigts)
TEXTE : LJF&LM
(extraits)
Un rêve
« Je suis devant un paysage.
Un ciel plus large que la terre
définit la ligne d’horizon.
Du fond de l’image montent dans le ciel et glissent
de petits points noirs.
Ils grossissent au fur et à mesure qu’ils avancent.
Le vol d’une nuée d’insectes.
Ils avancent encore et se précisent.
Des oiseaux.
Quelques dizaines d’oiseaux volent au-dessus de moi.
Deux d’entre eux me frôlent
dans un mouvement de bas en haut
semblent mesurer mon corps qu’ils touchent presque.
Des pigeons voyageurs.
Je vois dans les yeux de l’un face à mon visage.
Ses ailes ouvertes me permettent d’apprécier
les qualités du jabot
la taille de la gorge
et la lumière diffusant sur ses plumes.
Je vois la pliure ombrée sous les ailes. »
Miroir
« Debout
la robe s’étire de vos hanches aux chevilles
traçant la circonférence autour des jambes
amplement.
Dans l’espace intérieur au cercle
votre odeur est préservée
protégée par le tissu.
Il enveloppe.
Malgré cette limite c’est votre sexe juvénile
au centre du cercle qui fascine.
L’odeur insensée et inodore
attire à vous les faveurs.
Ce charme vous est propre.
Vous l’habillez de toutes les séductions.
La chose bien cachée
plus présente que sur nul autre corps féminin.
Vous la mettez en scène.
Vous marchez d’un pas véloce
vos jupes se frottent
bruit d’un fouet en cuir.
Vos vêtements pèsent plus que votre corps.
Les gilets, manteaux, houppelandes,
les robes
les cardigans accentuent l’extrême finesse de vos hanches.
Elles appellent la caresse violente.
Votre pâleur mêlée à la minceur du visage
est la force du désir auquel vous vous refusez.
Marque du combat que vous menez au sein de vous-même.
Vous ne pouvez révéler ce combat
et ne voulez le voir.
Il vous partage.
Une partie de vous refuse d’assister au
combat que mène l’autre partie.
Moi, j’y assiste.
Quand vous vous montrez si attirante
souffrance et force mêlées dans le repli
beauté si frêle
votre présence au corps
mon sexe de femme bouge
et mon âme est un gant retourné.
Il me viendrait à l’esprit
de vous souffler le visage avec
ce gant retourné.
Vous nous faites mourir.
Vous êtes la tueuse des désirs
que vous avez laissés naître en nous
que vous avez souhaités et provoqués.
Vous jouissez de refuser notre amour
vous jouissez de refuser à cette part de vous-même
qui vous implore à chaque instant le contact physique
se tord du désir d’être caressé.
Vous imposez le secret.
Vous imposez à cette autre partie de vous-même de se taire.
Elle se tait
mais à d’autres moyens d’expression.
Je la sens qui expire de vous sur tout votre corps
dans chacun de vos gestes
suppliant la caresse de s’accomplir.
Quand
dans le miroir que sont les autres
vous voyez le reflet des agissements
de vos séductions
et quand le moment est venu que la caresse de vous s’approche
celle qu’une part de votre personne a réclamé à corps et à cri
quand elle s’avance vers vous
vibre dans l’humilité
et à son tour vous supplie
vous vous reculez
vous rétractez
avez peur et vous enfuyez.
(…) »
© Sandrine Treuillard, 2000-2007
MAIL du vendredi 20 avril 2007 à sfleur
Modèle vivant
Chère Sonia,
si chère,
Je suis très émue ce matin.
J'ai trouvé à faire ton portrait telle que tu étais hier,
juste à tourner autour de toi dans la position où tu étais en lisant
"La folie du jour"(3).
Je détache Sonia de Laura.
Une forme du maniérisme est la "figure serpentine".
Tu seras ma sculpture vivante et je te caresserai du bout de la caméra, depuis la chambre numérique.
C'est ta posture, à toi.
Je souhaite que tu te vêtisses pareille qu'hier à la fabrica'son. Avec ces chaussures-là.
Il me faudra une belle lumière, du jour, et ce serait bien de mettre ton écran blanc comme fond.
Je pense filmer Sonia Fleurance chez elle.
Chercher à voir pour mieux étreindre.
Tu pourras lire si tu veux. Je ne sais pas pour le son.
Si tu veux m'offrir ta voix, je la recevrais volontiers.
Je peux peut-être t'amener un son de ma fabrique… pour ton dialogue.
Je t'embrasse fort,
tout en rejoignant la réflexion de Pascal Q. : "L'amitié, c'est l'art du vide".
Et l'amour platonique.
Portrait de chevalières de la table vide.
[Je tâtonne avec ces mots.]
S.T.
(3) Maurice Blanchot
Sylvain des sources
Mars 2007 _ mini-dv
coul. _ 19 min 30
2cde projection privée, chez Sonia Fleurance, juillet 2007
20ème Festival Les Instants Vidéo, Canal Maritima, nov. 2007
Lieu & Cadre sonore : La Sourdaie
Modèle : Sylvain Treuillard
Textes : "Vie secrète" de Pascal Quignard & "Les métamorphoses" d'Ovide
Voix off & Composition sonore : Sandrine Treuillard
Lecture, portrait, paysage.
« La Sourdaie est le lieu de mon père Sylvain. Un demi hectare traversé de sources au-dessus d’un étang. Un système hydraulique permettait d’envoyer de l’eau au château situé plus haut.
Le jeu des sources dans les canalisations.
La Sourdaie est construite d’une petite bâtisse jadis au gardien des sources. Il fallait nettoyer le bélier, enlever les dépôts de vase, les feuilles pourries à l’entrée des canalisations. Changer les pièces recevant les coups du bélier.
Aujourd’hui, ce système est un vestige.
Seul l’accent circonflexe sur l’étang demeure. Le toit comme signe mystérieux et intime sur l’eau étale.
Sylvain est devenu le gardien des sources anciennes. Il les met au jour à nouveau. Nettoie le bassin. Retape la maison, y installe des fenêtres.
Je filme le début de son emprise sur ce lieu, au défrichage. Quand il l’apprivoise, le découvre. Je peux le dévoiler à son côté. Le lire en sa présence.
Peindre avec le pinceau du filmage. Mon œil peint, la caméra au bout de mon œil peint, tenue devant mon visage la caméra dans la paume entre les doigts, peint autant qu’elle capte.
Quand ça dure, quand le filmage dure, prend de la longueur, s’étale dans la durée, l’œil au bout de la caméra peint plus qu’elle ne capte. C’est le regard.
Comme le pinceau au bout du sexe de l’homme peint au fond du sexe de la femme la joie sur son visage (Quignard)
je filme le lieu de mon père en profondeur pour donner un visage a son secret.
Mais le secret demeure
le secret demeure dans le secret du domaine.
La Sourdaie est une grotte. Je filme le bord du lieu, ses frontières, son contour, l’écran aux reflets de l’étang. C’est l’air, le son que porte l’air, l’intervalle, les lumières ce matin-là, l’espace en somme que je capture en cherchant le secret des lieux.
Les textes extraits de « Vie secrète » de Pascal Quignard scandent les plans, glissent avec eux à travers ma voix. Ces fragments élus exaltent le film. Pénétrations multiples : texte dans l’image en mouvement, texte dans le geste même du filmage. Texte entrant dans la maison, en sortant, comme la caméra même passe l’embrasure de la fenêtre. Texte qu’inscrit la voix sur le paysage.
Texte qui, par la voix, relie le personnage présent, et tout occupé par le lieu, à la filmeuse. Filmeuse, toute occupée à saisir l’intervalle entre Sylvain et le lieu. Caméra tout occupée à mesurer sa position entre le lieu, Sylvain, et elle-même (la filmeuse). Lire. Filmer depuis pudeur. Interrogation des limites du voir. « Chercher
à voir pour mieux étreindre » (Freud & José Morel Cinq Mars) tout en construisant le processus du voir. « Vidéo », je vois dans la pudeur qui se cherche, se profile dans le filmage. Je regarde le paysage, la position dans l’espace des maison, étang, bassin, personnage, toit du bélier hydraulique (et un château hors-champ où l’eau jadis était envoyée). Le paysage est une peau et mon œil-caméra-dans-ma-main la caresse. L’espace devient le lieu palpable de la pudeur. Filmer dévoile ce qu’il y a de plus secret et de plus profond au sein de la pudeur. Ma voix, ce souffle disant les mots _la liste des titres des livres de Quignard en manière de poème_ est le véhicule à ma pudeur. Longuement filmer, la matière sonore environnante installe une durée musicale en plus de celle du plan vibrant de l’image. »
Extraits :
« La voie propre à chaque peintre est fascinée. Un vrai peintre ignore ce qu’il fait. Parfois le peintre croit qu’il est comme un aigle avec sa serre au-dessus des levrauts des images alors que tous les peintres sont des levrauts, des rats, des petits passereaux sur lesquels s’ouvrent le bec et les serres du grand aigle des images nocturnes qui dresse à plusieurs reprises chaque nuit leur fascinus. »
in « Vie secrète »
« Sur le jadis
Le lecteur
Alexandra de Lycophron
La parole de la Délie
Abîmes
Sur le défaut de terre
Sang
L’être du balbutiement
Albucius
Les ombres errantes
Le nom sur le bout de la langue
Les paradisiaques
Echo, Epistolè Alexandpoy
Vie secrète
Hiems
Une gêne technique à l’égard des fragments
Les mots de la terre, de la peur, et du sol
Sarx
La haine de la musique
Le sexe et l’effroi
Les septantes
Inter Aerias Fagos
Le secret du domaine
Konh-Souen Long, sur le doigt qui montre cela
Rhétorique spéculative
Le vœu de silence
Les tablettes de buis d’Apronenia Avitia
Sordidissimes
La nuit sexuelle »
coul. _ 19 min 30
2cde projection privée, chez Sonia Fleurance, juillet 2007
20ème Festival Les Instants Vidéo, Canal Maritima, nov. 2007
Lieu & Cadre sonore : La Sourdaie
Modèle : Sylvain Treuillard
Textes : "Vie secrète" de Pascal Quignard & "Les métamorphoses" d'Ovide
Voix off & Composition sonore : Sandrine Treuillard
Lecture, portrait, paysage.
« La Sourdaie est le lieu de mon père Sylvain. Un demi hectare traversé de sources au-dessus d’un étang. Un système hydraulique permettait d’envoyer de l’eau au château situé plus haut.
Le jeu des sources dans les canalisations.
La Sourdaie est construite d’une petite bâtisse jadis au gardien des sources. Il fallait nettoyer le bélier, enlever les dépôts de vase, les feuilles pourries à l’entrée des canalisations. Changer les pièces recevant les coups du bélier.
Aujourd’hui, ce système est un vestige.
Seul l’accent circonflexe sur l’étang demeure. Le toit comme signe mystérieux et intime sur l’eau étale.
Sylvain est devenu le gardien des sources anciennes. Il les met au jour à nouveau. Nettoie le bassin. Retape la maison, y installe des fenêtres.
Je filme le début de son emprise sur ce lieu, au défrichage. Quand il l’apprivoise, le découvre. Je peux le dévoiler à son côté. Le lire en sa présence.
Peindre avec le pinceau du filmage. Mon œil peint, la caméra au bout de mon œil peint, tenue devant mon visage la caméra dans la paume entre les doigts, peint autant qu’elle capte.
Quand ça dure, quand le filmage dure, prend de la longueur, s’étale dans la durée, l’œil au bout de la caméra peint plus qu’elle ne capte. C’est le regard.
Comme le pinceau au bout du sexe de l’homme peint au fond du sexe de la femme la joie sur son visage (Quignard)
je filme le lieu de mon père en profondeur pour donner un visage a son secret.
Mais le secret demeure
le secret demeure dans le secret du domaine.
La Sourdaie est une grotte. Je filme le bord du lieu, ses frontières, son contour, l’écran aux reflets de l’étang. C’est l’air, le son que porte l’air, l’intervalle, les lumières ce matin-là, l’espace en somme que je capture en cherchant le secret des lieux.
Les textes extraits de « Vie secrète » de Pascal Quignard scandent les plans, glissent avec eux à travers ma voix. Ces fragments élus exaltent le film. Pénétrations multiples : texte dans l’image en mouvement, texte dans le geste même du filmage. Texte entrant dans la maison, en sortant, comme la caméra même passe l’embrasure de la fenêtre. Texte qu’inscrit la voix sur le paysage.
Texte qui, par la voix, relie le personnage présent, et tout occupé par le lieu, à la filmeuse. Filmeuse, toute occupée à saisir l’intervalle entre Sylvain et le lieu. Caméra tout occupée à mesurer sa position entre le lieu, Sylvain, et elle-même (la filmeuse). Lire. Filmer depuis pudeur. Interrogation des limites du voir. « Chercher
à voir pour mieux étreindre » (Freud & José Morel Cinq Mars) tout en construisant le processus du voir. « Vidéo », je vois dans la pudeur qui se cherche, se profile dans le filmage. Je regarde le paysage, la position dans l’espace des maison, étang, bassin, personnage, toit du bélier hydraulique (et un château hors-champ où l’eau jadis était envoyée). Le paysage est une peau et mon œil-caméra-dans-ma-main la caresse. L’espace devient le lieu palpable de la pudeur. Filmer dévoile ce qu’il y a de plus secret et de plus profond au sein de la pudeur. Ma voix, ce souffle disant les mots _la liste des titres des livres de Quignard en manière de poème_ est le véhicule à ma pudeur. Longuement filmer, la matière sonore environnante installe une durée musicale en plus de celle du plan vibrant de l’image. »
Extraits :
« La voie propre à chaque peintre est fascinée. Un vrai peintre ignore ce qu’il fait. Parfois le peintre croit qu’il est comme un aigle avec sa serre au-dessus des levrauts des images alors que tous les peintres sont des levrauts, des rats, des petits passereaux sur lesquels s’ouvrent le bec et les serres du grand aigle des images nocturnes qui dresse à plusieurs reprises chaque nuit leur fascinus. »
in « Vie secrète »
« Sur le jadis
Le lecteur
Alexandra de Lycophron
La parole de la Délie
Abîmes
Sur le défaut de terre
Sang
L’être du balbutiement
Albucius
Les ombres errantes
Le nom sur le bout de la langue
Les paradisiaques
Echo, Epistolè Alexandpoy
Vie secrète
Hiems
Une gêne technique à l’égard des fragments
Les mots de la terre, de la peur, et du sol
Sarx
La haine de la musique
Le sexe et l’effroi
Les septantes
Inter Aerias Fagos
Le secret du domaine
Konh-Souen Long, sur le doigt qui montre cela
Rhétorique spéculative
Le vœu de silence
Les tablettes de buis d’Apronenia Avitia
Sordidissimes
La nuit sexuelle »
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